Un tueur sur la route
Rivages/Noir n°109 - Titre original Silent Terror, 1986
Je n’apporte rien de neuf en soulignant une fois encore que James Ellroy est un très grand écrivain. Un maître.
Tous ses livres sont des œuvres de poids dans le monde du polar mais, pas seulement, car il se plaît à décortiquer aussi la société américaine sous tous ses aspects, faisant référence à la politique, à l’organisation des polices, aux mondes de la pègre, de la drogue, de la prostitution, de la déchéance. Il développe la psychologie souvent tordue de ses personnages d’une manière qui n’appartient qu’à lui, avec des vérités, des mots qui portent ( ô combien ) issus d’un vocabulaire sans fioriture aucune. Il veut tellement interpeller son lecteur qu’il n’hésite pas à donner libre cours à l’excès dans ses scènes dures ou en en décrivant les protagonistes.
Et puis, il ne travaille pas à l’économie, James, ses livres sont des briques qui se rassemblent pour certaines en trilogie
(
Lune sanglante, A cause de la nuit, La colline des suicidés ) afin de nous raconter les enquêtes, l’efficacité mais aussi les travers de Lloyd Perkins dit le dingue, policier surdoué mais ne s’encombrant ni des conventions ni du respect de la hiérarchie.
Ou en quatuors comme celui dit de Los Angeles (
Le Dahlia Noir, Le Grand Nulle part, L.A. Confidential et
White Jazz ) dont le premier tome évoque un drame similaire à celui qu’a vécu sa mère et les trois autres les turpitudes de la politique qui fait ingérence dans le monde policier où sévissent des flics immondes comme Dudley Smith, parfois mystiques, toujours poussés par l’appât du gain, du pouvoir.
Il y a également l’extraordinaire triptyque
American Tabloid, American Death Trip, Underworld USA qui permet à l’auteur de nous raconter une « Histoire » des Etats-Unis des années cinquante à quatre-vingt telle qu’il la voit lui et qui met en scène les Kennedy, Edward J. Hoover, le syndicat des camionneurs, Cuba, le Vietnam et bien d’autres intervenants, la plupart du temps peu reluisants.
Tous ces livres sont âpres, violents, durs et on sort de leur lecture très impressionné et bien des questionnements sur les vérités ou non que couche sur la page l’écrivain.
Extorsion est quant à lui un drôle de bouquin dans lequel James Ellroy démolit la réputation d’une quantité incroyable de vedettes hollywoodiennes…
Récemment, il a lancé un second quatuor de Los Angeles prenant son envol avec l’énorme
Perfidia qui nous fait remonter le temps jusqu’à la seconde guerre mondiale et les événements découlant de l’attaque de Pearl Harbor par le Japon, événements qui entraînent bien des drames ( le mot est faible ) dont sont victimes des Japonais innocents pour la plupart. Une page d'Histoire que l’on ne nous avait jamais racontée ( à moi en tous cas ) et qui donne froid dans le dos, à postériori. Dans cette nouvelle série, dont nous attendons le volume 2, on retrouve les personnages, plus jeunes, en début de carrière, du premier quatuor comme Dudley Smith et les autres…
Il y a d’autres romans, individuels comme
Un tueur sur la route que je viens de terminer et qui m’a littéralement épouvanté. Carrément. Comment peut-on imaginer que des êtres dits humains puissent faire de telles horreurs comme s’il s’agissait pour eux de réussir un jeu, comme s’il s’agissait pour eux d’une démarche normale, une "profession" en quelque sorte. C’est terrible. Un livre d’une dureté inimaginable dans ses descriptions et sa mise en scène de "serial killers" innommables. Ce qui est étonnant c’est que l’écrivain, par son style, la construction de son livre, parvient, en dépit des horreurs qu’il raconte, à tenir son lecteur jusqu’à la fin, un lecteur qui veut arriver au moment où enfin, les monstres seront découverts, éliminés si possible.
C’est un livre effrayant comme finalement toute la production du grand homme de L.A. Il n’utilisait pas encore cette écriture rapide sujet/verbe/complément à l’époque, la narration étant classique dans sa forme. Mais quelle narration...