Jim Harrison et une odyssée américaine ...

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Guy Bonnardeaux
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Jim Harrison et une odyssée américaine ...

Message par Guy Bonnardeaux »

Depuis des décennies, après un interlude, survit à Oostende une superbe librairie qui porte le nom de Corman. Actuellement witte Nonnen straat ( rue des blanches nonnettes mais attention au dialecte ostendais et aux références historiques… ), elle occupait dans le temps un immense espace devenu bistro à la A. Buylstraat, cette artère commerçante qui relie la jolie place du kiosque à musique à la gare des tramways.

Dans ces anciens et spacieux locaux, il fallait grimper à l’échelle jusqu’aux plafonds pour retrouver un livre parmi les milliers de titres disponibles. C’est en me livrant à ce genre d’exercice qu’il y a bien longtemps – eh oui, le temps … - j’avais retrouvé des premières éditions de bouquins de Michel Déon, indisponibles dans ma ville francophone... C’est là aussi que durant les années soixante-dix, je suis tombé par hasard sur ce livre de textes de chansons, poésies et dessins de Bob Dylan à la couverture jaune, un volume qui part aujourd’hui en morceaux ( un peu comme les premiers "Pocket Marabout" ) mais qui demeure une référence et que je consulte encore souvent …

Parce que chez Corman on trouve de tout. De la littérature, des livres d’Arts ou de philosophie, des polars, des classiques, des ouvrages consacrés à l’Histoire, à la musique. L’ensemble en Néerlandais, Français et Anglais. Si les nouveaux espaces sont un brin plus restreints, les tables et les murs débordent toujours de trésors et quand vous achetez un livre on vous offre encore une pochette pour le protéger, un marque-page et un emballage sans rechigner … Inutile de mentionner que comme vous tous je pourrais camper dans un endroit comme celui-là ( comme dans un autre d'ailleurs situé deux rues plus loin dont je vous donnerai l’adresse ci-dessous ) …

Bref, tout ce préambule pour que vous ne ratiez pas une bonne maison à l’occasion et pour vous raconter la découverte que j’y ai faite il y a quelques jours et qui m’a apporté bien de la joie. Pas un livre cher en plus, 7€ pour ce poche J’ai lu n° 9322 …

Une odyssée américaine ( The English Major ) de Jim Harrison ( J'ai Lu n° 9322 ) est un livre rafraîchissant et, sans en donner l’impression en première lecture, d’une grande profondeur. C’est un bouquin dont le sujet traité porterait le nom de road-movie au cinéma. Un genre que j’aime bien parce qu’au fil des miles et des étapes, les acteurs de ces histoires font des rencontres, des découvertes et se posent des questions sur un tas de choses.

Le bouquin n’échappe pas à la règle avec, pour ce qui me concerne en tous cas, bien du talent et beaucoup de rythme. Evidemment, Harrison est un grand auteur. Pourtant je dois écrire, mea culpa, que je n’avais jamais rien lu de cet écrivain célèbre, même pas Légendes d’automne, manquement qui va être bien vite corrigé.

Harrison écrit comme s’il vous parlait, comme si vous étiez assis sous la veranda de sa maison en bois ouvrant sur le désert, avec la porte moustiquaire close, en regardant le rose, le jaune, le bleu finissant du soleil couchant, confortablement installés tous les deux dans de vieux rocking-chairs branlants à siroter une Coors ou autre chose …

On rit beaucoup en lisant ces pages. On réfléchit aussi. Pour réaliser, tout en progressant dans le récit, que ce que l’auteur nous dit finalement, par l’entremise de son narrateur, c’est qu’il n’est sans doute pas utile pour nous Occidentaux vivant dans des milieux disons sans conflits, d’aller chercher bien loin le bonheur parce qu’il est à portée de main le plus souvent, et qu’on le vit.

Cliff, le narrateur, est un ancien professeur de littérature qui en a eu marre. Las d’enseigner sans résultat la beauté des lettres à des ignares qui n’en ont rien à faire, il décide avec Viv, son épouse issue elle aussi de l’enseignement, de changer de vie et de faire revivre la ferme paternelle dans le Michigan. Projet bien aléatoire en matière de revenus. Il élève quelques vaches, cultive, récolte des cerises, participe à des parties de chasse et de pêche, vit une amitié intense avec sa fidèle chienne Lola, son autre lui à quatre pattes en quelque sorte et est heureux de son sort, même si financièrement ce n’est pas l’eldorado, que les résultats sont tributaires des saisons, des cours des bourses agricoles ou des embargos. Viv n’aime pas la ferme et s’estime trop grosse mais s’envoie des schnaps au caramel à chaque occasion. Un beau jour, elle décide de se consacrer à l’immobilier et gagne beaucoup d’argent prenant ainsi, sur le plan financier, l’ascendant sur Cliff qui s’en fiche comme de l’an 40.

Elle va même plus loin puisque, profitant d’une réunion d’anciens de fac, elle renoue avec un vieux flirt, disparait avec lui un soir pour rentrer les genoux tachés d’herbe, prend la décision de divorcer et de vendre la ferme. L’affaire des genoux mise à part, tout cela n’ennuie pas trop Cliff qui entretient de toute manière une relation avec une certaine Babe. Et puis sa vie a perdu de sa belle lumière avec la mort subite de Lola, sa fidèle chienne.

Le couple a un fils, Robert, homo, qui vit avec un ami à San Francisco et fait fortune dans le théâtre, une réussite qui l’incite, lorsqu’il revient dans le Michigan, à faire avec son père des comparaisons oiseuses et déplaisantes quant à leurs revenus réciproques, mettant en avant les différences vertigineuses qui séparent un actif de la grande ville de l’ouest avec un récolteur de cerises perdu dans le Michigan…

Et voilà Cliff qui, à soixante ans, décide tout à coup de changer de vie, de faire le tour des états de l’Union en voiture et d’observer les gens, les oiseaux, les rivières, la vie … Il part en n’emportant que son vieux puzzle des U.S.A. dont chacune des pièces représente un état, avec une couleur différente. Il décide de balancer dans les rivières, lacs et autres endroits choisis la pièce portant le nom de chacun de ces états lorsqu’il en passera la frontière pour pénétrer dans un autre dont il nous nommera les oiseaux fétiches, la fleur de prédilection et la devise dont certaines sont totalement incompréhensibles …

Cliff a encore des envies particulières que je ne nommerai pas mais a dû laisser Babe et il se dit qu’il ne serait pas mal de partager du temps avec Marybelle, une ancienne élève de fac qui lui vouait une sorte de culte. Et cela tombe bien pour Marybelle dont l’époux et la fille, archéologues, sont en mission dans le Montana.

Le problème pour Cliff est que Marybelle est une obsédée sexuelle d'envergure et une névrosée qui raconte n’importe quoi. Cela va un temps mais Cliff n’a pas entrepris son périple dans ce but et après bien des péripéties, qu’il vaut mieux lire pour pouvoir en rire, il confie son encombrante compagne à son mari qu'ils ont rejoint et continue seul son périple vers l’ouest. Mais Marybelle, adepte enragée du téléphone portable, oblige Cliff qui n’en a pourtant rien à faire, à en porter un afin de pouvoir communiquer avec lui … Ce qu’elle ne manquera pas de faire à propos de tout et de rien. Elle rejoindra même Robert à San Francisco qui se mettra lui aussi à faire fonctionner le téléphone maudit à tout moment pour évoquer les problèmes de sa mère Viv qui finalement, aimerait bien réintégrer le foyer commun mais à ses conditions financières à elle puisqu’elle est riche et a déjà pratiquement mis Cliff sur la paille … Le portable du héros finira dans le bac des toilettes d’un motel …

Michigan, Wisconsin, Minnesota, les deux Dakota, le Nebraska, l’Idaho, … Tous les états défilent, sont sources de rencontres, de dialogues colorés, de motels, de diners, de roads … Tout est prétexte à anecdotes, réflexions sur la vie, phrases cultes…

« Au royaume de l’imagination absolue, nous restons jeunes jusque tard dans la vie. » pp. 143

Ah oui, Cliff a des amis un peu partout à qui il rend visite comme à cet éleveur de serpents qui vit en plein désert avec une demi-folle ou surtout le Dr A, médecin alcoolique que l’auteur cite à toutes les pages ou presque parce que le praticien imbibé a toujours dit quelque chose à un moment ou un autre sur le sujet évoqué à cette page... Des points de vue avinés et désabusés qui ne manquent pas de sel, surtout.

Ce livre c’est un peu On the Road de Kerouac mais pour sexagénaire, en plus profond et bien plus amusant. Plus structuré aussi au niveau de l’écriture.

Cliff de son côté décide de rebaptiser chaque état par le nom de la tribu indienne qui occupait les lieux, ce qui lui semble, il a raison au fond, plus logique et approprié. Ainsi, l’Arizona deviendra Apache, la Californie Chumesh, l’Idaho Nez Percé, le Kansas Wichita, le Dakota du Sud Lakota ( cf. Crazy Horse ), l’Iowa Foxsauk and so on … La liste complète est à consulter en fin de volume …

Finalement, Cliff rentrera au Michigan et s’installera dans la cabane en bois de son grand-père en pleine forêt afin d’y réaliser son œuvre de révision de la géographie et de l’ornithologie des States. Viv vivant de nouveau dans le coin a un oeil sur lui. Il aura fait le grand tour de l’ouest, du sud-ouest, remettant à la saison suivante les autres régions, pour se retrouver en fin de parcours au point de départ après une série d’aventures sources de pensées profondes et de réflexions bien senties …

Un bouquin pas comme les autres que je relirai c’est une évidence.

La couverture du livre montre une belle voiture américaine par Keiji Iwai et est une Getty Images. C’est graphiquement beau mais Cliff, la période où Robert lui prête un véhicule de luxe mise à part, roule dans un vieux tacot. J’aurais donc plutôt choisi, par exemple, l’une ou l’autre toile de ce peintre qui me touche tant et dont je vous ai déjà parlé, E. Hopper. La toile Gas ou l'aquarelle Jo in Wyoming auraient à mon sens été très appropriées. Gas parce que c’est une évidence pour un tel livre. Jo in Wyoming aurait pu faire penser à une Marybelle plus sage. Mais bon, ce n’est pas grave et cela ne doit pas empêcher qui en ressentirait l’envie de lire ces pages complètement dingues et je le répète, très profondes.

http://www.edwardhopper.net/images/paintings/gas.jpg
http://uploads6.wikiart.org/images/edwa ... yoming.jpg

Avant d’en terminer avec mon babil écrit et pour en revenir à Oostende. Si vous passez par- là, allez donc aussi faire un tour Vlaanderenstraat, une rue-rampe qui mène à la digue promenade. L’Hôtel Die Prince fait le coin côté mer. Vous y trouverez un chouette bouquiniste – il va déménager mais je ne crois pas que ce soit pour tout de suite – avec bien des trésors dans tous les genres ( et multilingues ) couvrant les murs et débordant des bacs … Et puis vous passerez un looong moment à papoter avec cet amateur de livres et d'anecdotes …
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yan59
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Re: Jim Harrison et une odyssée américaine ...

Message par yan59 »

merci pour ce retour sur cette lecture qui semble passionnante et ... croustillante !

Et pour les adresses des bouquineries ! Ça me fait 2 raisons de plus d'y aller ! :D
Je ne procrastine pas, j'attends d'être plus vieux et donc plus expérimenté !

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Jerk
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Re: Jim Harrison et une odyssée américaine ...

Message par Jerk »

A noter que la première peinture de Hopper montrée par Guy a notamment illustré Les naufragés de l'autocar, l'excellent roman de Steinbeck, chez Folio.

Image

... Par contre, je n'avais jamais vu l'autre image, cette aquarelle est vraiment sympa. :D

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Guy Bonnardeaux
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Re: Jim Harrison et une odyssée américaine ...

Message par Guy Bonnardeaux »

Hopper est un artiste merveilleux. J’ai aimé ses tableaux dès que j'en ai fait la découverte, il y a longtemps déjà ( encore le temps qui file … )

Il y a une atmosphère dans ses toiles, un climat, des suggestions qui nous poussent à réfléchir, à rêver, à nous poser des questions du genre que fait donc ce personnage à cet endroit-là, il attend qui ou quoi, pourquoi

Hopper raconte des gens et des histoires. Hopper c’est une vision de l’Amérique. Quand je contemple une de ses œuvres, je sens l’Amérique, je ressens ce petit vent qui fait onduler les herbes hautes, la brise de mer quand on est près de l'océan, l’odeur de l’essence de la station Mobil et son petit local où on entre en franchissant la porte moustiquaire, … Tout respire la campagne et les petites villes rurales ou la côte américaine.

La phrase de Jim Harrison que je cite dans mon texte ci-dessus :

« Au royaume de l’imagination absolue, nous restons jeunes jusque tard dans la vie … »

est parfaitement en phase avec moi quand je me prends à rêver et à imaginer en contemplant les photos des toiles du peintre.

A ce propos, à l’occasion de mon séjour récent à la côte, j’ai eu la main heureuse en fouillant les bacs et les étagères de notre sympathique ami bouquiniste-bavard-amateur d’anecdotes évoqué dans mon récit. Une édition en néerlandais d’un livre d’art consacré à Hopper avec toutes les toiles, aquarelles, dessins pour un prix des plus raisonnables. Mais le livre est tellement grand que je ne peux pas vous en scanner la couverture.

C’est en le feuilletant que je suis tombé sur cette aquarelle si fine de Jo en Wyoming que comme Jerk, je n’avais jamais vue et qui collait si bien au livre que je venais de terminer. Ainsi va la vie …

Il existe, parmi d’autres, un tableau des plus célèbres de Hopper auquel le romancier que nous évoquons souvent ici pour le moment dans une rubrique spécialement consacrée, Michael Connelly, fait souvent référence. Son personnage Eleanor Wish, un temps l’épouse de Harry Bosch, trimballe en effet partout un poster du bien connu Nighthawks ou littéralement, les faucons de la nuit et donc les noctambules qui, je crois, est le titre qu’on lui donne en Français.

http://ibvisualarts.files.wordpress.com ... hawks1.jpg

Qui n’a pas vu cette œuvre quelque part ? Et qui, amateur d’Amérique et de cinéma ne l’a pas interprétée à sa manière ?

Elle date de 1942 et a été énormément pastichée, pas toujours avec beaucoup de goût, il faut le souligner. Il en existe une version avec Tintin et son monde … Il y en a une autre avec Bogart et Monroe pour le couple, Elvis en serveur et James Dean pour le personnage au dos tourné.

Ce qui est amusant quand je regarde l’original de Hopper est que j’y vois justement Bogart et Bacall pour le couple, Edward G. Robinson ou Peter Lorre pour le personnage au dos tourné, rassemblés là après un tournage tardif …

Nombre d’analyses ont été écrites sur ce tableau pas comme les autres. J’aime assez celle vers laquelle je vous mets un lien ci-après et dont l’ensemble me parait juste. Je ne suis simplement pas en phase avec l’auteur quand il écrit dans le second paragraphe, je le cite : « Si nous ne doutons pas être en Amérique, la toile s’extrait tout de même, par sa composition, de toute coordonnée géographique précise ». Pour moi, au contraire, ce tableau, par ses personnages, le lieu, la rue que l’on voit à l'extérieur du diner , TOUT respire l’Amérique, c’est une évidence, il n'y a pas à s'y tromper et une précision de lieu est inutile. Mais ce petit point mis à part, l’analyse écrite rencontre ma façon de voir et j'espère qu'elle vous incitera à étudier ce peintre qui peut vous apporter beaucoup de plaisir, de rêveries, de couleurs...

http://artimeless.com/2012/09/07/un-jou ... rd-hopper/

Il y a énormément à raconter, à écrire sur la peinture d’Edward Hopper. Je n’en manquerai jamais l’occasion. Mais il faut surtout la regarder ...
Modifié en dernier par Guy Bonnardeaux le sam. 21 mai 2016 20:46, modifié 1 fois.

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Guy Bonnardeaux
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Re: Jim Harrison et une odyssée américaine ...

Message par Guy Bonnardeaux »

Je viens de terminer Grand Maître ( faux roman policier ) ou The Great Leader ( A faux mystery ) de l'ami Jim Harrison, second ouvrage que je lis de cet écrivain américain majeur.

J'ai lu n° 10660

Les aventures picaresques de l'inspecteur à la retraite Sunderson, installé à Marquette dans le grand nord américain près des grands lacs et lancé sur la piste d'un ignoble guru et sa secte, un certain Dwight qui change de nom quand il change d'Etat, soutire des sommes délirantes à ses disciples contre une soi-disant philosophie mélangeant des préceptes piqués un peu partout chez les tribus indiennes et s'avère être surtout un sinistre obsédé sexuel amateur de jeunes filles. Sunderson veut sa peau, même s'il est à la retraite et est aidé en cela par sa jeune voisine Mona, goth et hacker accomplie et Marion d'origine indienne ancien alcolo et directeur de fac.

Sunderson ( dont on ne sait pas le prénom ) poursuit Dwight et sa tribu partout, jusqu'en Arizona notamment dont le climat ne lui convient pas et plus particulièrement à Nogales où il se fera quelques ennemis dangereux supplémentaires.

C'est un livre bourré d'humour, de voyages sur les routes US comme à chaque fois avec leurs images de chaleur ou de neige, de cuisines robustes et d'alcools forts, d'Indiens, de Latinos et d'Amérique blanche bien pensante ... Il est aussi bourré de réflexions bien senties sur notre société, ses travers, sa bêtise et sa soif d'argent. Jim n'hésite pas non plus à nous décrire avec justesse des ennuis de santé propres à l'âge de Sunderson comme cette page amusante dans laquelle il décrit une crise de goutte typique logée dans le gros orteil droit de son enquêteur et cite les mêmes médicaments que ceux que nous recevons pour cette pathologie ici en Europe ...

Dommage pourtant cette propension qu'a Harrison de vouloir comme dans le livre précédent être trop scabreux à certains moments ( sans être vraiment vulgaire ) parce que ces passages supposés hots sont lassants, choquants parfois et n'apportent rien au livre et pourraient être réduits voire absents. Ils sont même dérangeants à certains moments. C'est un reproche que je fais à ces deux livres que j'ai lu de Jim puisque c'était déjà le cas dans Une odyssée américaine.

Il n'empêche qu'on rit beaucoup, qu'on voyage aux States comme on les aime, que l'on rencontre au fil des pages des personnages tout aussi extravagants les uns que les autres. Et malgré cet humour et ces anecdotes, il se dégage de ces pages un certain pessimisme, l'écrivain faisant bien percevoir à son lecteur via son héros Sunderson, la mélancolie, les regrets générés par l'âge qui vient. Toutes choses qui font que les paragraphes osés inutiles mis à part, ce Grand Maître est à nouveau un bon livre américain d'un grand auteur américain.

J'ai lu n°10660, 2014 ( l'original date de 2012 ).
Modifié en dernier par Guy Bonnardeaux le dim. 26 août 2018 16:32, modifié 2 fois.

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Re: Jim Harrison et une odyssée américaine ...

Message par Guy Bonnardeaux »

Je viens de terminer un troisième volume de nouvelles de Jim Harrison portant le titre général des Jeux de la nuit ( J’ai lu n° 9673 ) et compte trois récits : la fille du fermier, Chien brun le retour et les jeux de la nuit.

Comme à chaque fois avec Harrison, si je regrette sa propension à devenir un brin trop cru à certains moments, je dois admettre qu’il m’embarque toujours dans son pick-up ou dans ses marches épuisantes à travers le Montana, le Nouveau-Mexique, l’Idaho, le Wyoming et surtout le Michigan l’hiver, à la rencontre de toute une série de lieux magiques, de personnages souvent rocambolesques et en parsemant ses histoires de réflexions bien senties sur l’Amérique et notre monde dit moderne et ses dérives.

« Ce n’est jamais le nom de l’Etat qui compte pensa-t-il mais le territoire réel. Dès qu’ils quittèrent les paysages de culture intensive et qu’il vit les bouleaux, les cèdres, les pins et les sapins ciguë, son moral grimpa en flèche et se mit à planer au-dessus de son crâne » p. 200

« Lors d’un cours d’anthropologie pour les débutants à Northwestern, j’ai entendu avec amusement un professeur expliquer qu’à leur réveil les Navajos saluent les quatre points cardinaux pour se souvenir de leur situation précise au sein de l’existence. » p. 243

« (…) j’ai besoin de connaître l’histoire, entre autre chose de la région où je me trouve, et en Europe c’est un sacré défi en comparaison de l’Amérique, où dans de nombreuses régions situées à l’ouest du Mississippi l’histoire est un mot vide de sens, quand elle existe au-delà de l’histoire des tribus autochtones et des efforts très peu héroïques de ceux qui volèrent leurs terres pour y élever un nombre illimité de vaches. » p. 312

« J’achetai même un livre complètement idiot sur les statistiques mondiales, pour le parcourir au déjeuner et au dîner, quand les lectures sérieuses vous gâchent par fois tout un repas. Ainsi, au Sostanza, en savourant trois soirs de suite une énorme entrecôte florentine ( pour deux ), j’appris qu’au dix-neuvième siècle nous autres Américains avons massacré soixante-dix millions de bisons alors que le président Mao avait programmé la mort de soixante-dix millions de Chinois. Que faire de cette coïncidence numérique ? Je renonçai à m’informer sur l’histoire du monde. » p. 334

Jim Harrison, c’est un torrent de mots, de phrases, de paragraphes dans lesquels évoluent des gens de tous styles, parfois à la limite du burlesque et des lieux d’une beauté sauvage absolue.
Modifié en dernier par Guy Bonnardeaux le dim. 26 août 2018 16:32, modifié 2 fois.

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Jerk
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Re: Jim Harrison et une odyssée américaine ...

Message par Jerk »

J'aime bien les extraits que tu cites, Guy. J'essayerai de jeter un oeil à ce volume.

Image

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Re: Jim Harrison et une odyssée américaine ...

Message par Guy Bonnardeaux »

Ce soir, 23.30 hrs sur France5, les carnets de route de François Busnel aux U.S.A. avec notamment Jim Harrison ...

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Re: Jim Harrison et une odyssée américaine ...

Message par Guy Bonnardeaux »

J'ai trouvé un nouveau bouquin de Jim hier après-midi dans une de mes librairies habituelles ( J'ai Lu n° 11022 ),
le titre : Nageur de rivière ( The River Swimmer sorti aux Etats-Unis en 2013 ).

Le livre compte deux "courts" romans ou "longues" nouvelles, comme on préfère : Au pays sans-pareil dans lequel il nous raconte les joies et déboires d'un sexagénaire et Nageur de rivière qui conte le chemin d'initiation d'un jeune nageur passionné par l'eau et la nature. Le tout écrit avec la verve habituelle qu'on connait chez cet auteur, ses passages un peu olé-olé aussi et incongrus par moment comme il en a l'habitude mais surtout cette atmosphère américaine et de vie proche de la nature que l'on aime chez lui.

J'arrive à la fin du livre, l'ayant dévoré comme tout ce qu'écrit ce grand écrivain.

Je vous mets un lien ci-dessous avec un article du Figaro qui à mon sens le présente très bien.

http://www.lefigaro.fr/livres/2014/02/2 ... rrison.php
Modifié en dernier par Guy Bonnardeaux le dim. 26 août 2018 16:33, modifié 1 fois.

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Re: Jim Harrison et une odyssée américaine ...

Message par Guy Bonnardeaux »

Un bon jour pour mourir ( A Good Day To Die )1973 – 222 pages – Collection 10-18 n° 1988

Ah Jim Harrison !


Il n’y a rien à faire, cet auteur vous tient et ne vous lâche plus dès que vous ouvrez l’un de ses livres !

Comme à chaque fois les images que « montrent » les mots de l’écrivain SONT les U.S.A. « profonds », l’Amérique des petites villes, des saloons, des bars, des « diners », des motels et des pompes à essence à l’ancienne mais aussi et surtout sans doute, celle de la nature sauvage et superbe, des paysages à couper le souffle, des lacs, des rivières, des sierras, des kilomètres de routes dans les déserts, les montagnes, à travers les états … Et puis il y a le rythme de l’écriture aussi, un rythme qui fait que les lignes écrites deviennent cousines des sillons d’un bon vieux disque en vinyl de rock ou de country posé sur une platine antédiluvienne...

Jim sait « écrire » les images qu’il veut faire passer et son talent nous pousse à lui pardonner les écarts de langage qui sont parfois sa marque et que j’ai déjà évoqués.

Avec ce roman que je viens de lire en quelques heures pluvieuses tant il m’a passionné, il nous lance une fois de plus dans un périple déjanté à travers les States en compagnie d’un trio improbable, le narrateur dont on ne cite pas le nom, Tim un ancien du Vietnam complètement accroc à tout et le premier amour du même Tim, Sylvia, convoitée évidemment par le narrateur … Les trois personnages sont bourrés à un tas de saloperies et à l'alcool qui les font planer pendant tout le périple, ce qui débouche fatalement sur des situations incroyables et un projet complètement dingue …

Mais c’est surtout un « road book », comme un « road movie », qui embarque le lecteur depuis les keys de Floride pour l’emmener après un long voyage, un tas de péripéties, d’anecdotes, de descriptions précises de la nature ambiante jusqu’en Idaho où l’histoire se termine en drame avec cette image qui rappelle la fin du film d’Antonioni de 1970, Zabriskie Point ( sur une musique du Dead et de Pink Floyd ). Il y aussi beaucoup ici aussi de Point limite zéro
( Vanishing Point ) de 1971, ce film qui montre le périple fou d’un chauffeur qui a fait le pari de ramener une voiture de Denver à San Francisco en un temps record et qui est informé sur les mouvement de la police à ses trousses tout au long de la route via la radio par un disc-jockey noir aveugle …

On peut penser aussi à On The Road ( Sur la route ) de Kerouac mais nous avons ici un texte structuré et de la patte si particulière de Jim Harrison. Tout au long des pages on évoque un nombre incalculable de personnages, de lieux, Dylan, le Dead, Merle Haggard, le Grand Canyon, Yellowstone, Chief Joseph des Nez Percés, les Mandans, les Oglalas, les Cheyennes …

Comme toujours, le texte de Jim ( qui écrit, je l’ai déjà mentionné, comme on parle et sans aucun préambule à tout changement de situation ) déborde de petites histoires, de phrases courtes, incisives qui font pourtant à chaque fois le tour de la question abordée. C’est un drame qu’il nous raconte mais on rit quand même beaucoup, comme de coutume. Et on est bien en Amérique, celle des portes moustiquaires, des bars country, de la poussière, des cactus, des voitures et de la musique. Des hippies aussi parce que le roman est situé dans les années soixante.

Le titre fait référence à un proverbe en usage chez les Nez Percés de Chief Joseph https://fr.wikipedia.org/wiki/Chef_Joseph ... Rappelons-nous à propos de cette phrase de cet autre film culte Little Big Horn et Dustin Hoffman …

Pour ce qui me concerne, Jim Harrison doit sans doute être avec James Ellroy et l'un ou l'autre, le plus grand écrivain américain contemporain. J’en suis convaincu.

J’ai acheté d’autres livres du grand homme ce week-end, j’y reviendrai après lecture.
Modifié en dernier par Guy Bonnardeaux le dim. 26 août 2018 16:33, modifié 1 fois.

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