Je viens ainsi de découvrir Arnaldur Indridason. Je ne suis pas déçu, loin de là. Je souhaite donc l'évoquer ici.
De toute manière, je n'aborde jamais sur ce forum les livres que je n'ai pas aimé. A mon sens, chacun ayant sa propre perception et ses propres attirances, des livres qui ne me touchent pas peuvent absolument passionner quelqu'un d'autre. J'ai aussi trop de respect pour les écrivains pour me permettre ( et puis, qui suis-je après tout ? ) de critiquer des auteurs sous prétexte que leur(s) livre(s) n'entrent pas dans la catégorie de ceux que j'aime. Je me limite donc à ces derniers et à mes coups de coeur et, je le reconnais sans peine, quand j'aime, j'aime vraiment et peux parfois devenir très enthousiaste, chacun ses défauts

Dans le cas présent, il n'y a rien strictement rien à redire. Je viens de lire un beau roman, intelligemment construit, humain, profond et qui dénonce sans en avoir l'air toute l'âpreté de notre civilisation, des temps actuels qui fabriquent à la chaîne des laissés pour compte, la clochardisation, des SDF, des alcoolos qui, minés par le désespoir, avalent n'importe quoi pourvu que ce soit de l'alcool, que ce soit fort, que cela soit issu de la contrebande, frelaté, dangereux ou autre ...
De ces gens rejetés par la société, on en rencontre à toutes les pages dans le livre et cela, je l'espère pour eux, porte les lecteurs à réfléchir à notre société telle qu'elle est devenue, ce qui en a été fait, à la précarité, aux revers que rencontrent certains qui n'ont pas d'autre opportunité que de se voir faire le grand saut vers le fond, la lie, la folie, la souffrance morale et physique, la mort aussi, souvent ... Personne n'est vraiment à l'abri. La classe moyenne disparait petit à petit mangée par les taxes, les prix fous, l'Europe des sous et de ses fonctionnaires hyper payés qui passent beaucoup de temps à élaborer des réglementations à l'emporte-pièce qui tuent des métiers, des manières de vivre ... Tout cela, bien au contraire, n'empêche pas et aide bien les très riches à s'enrichir toujours plus et sans vergogne
( souvent de manière indécente ) tandis que les plus pauvres sombrent chaque jour dans le désespoir et le dénuement.
Des fortunes passent les frontières pour des raisons fiscales, sans que qui que ce soit n'y trouve à redire et ces impôts perdus, on va les chercher dans la poche de ceux qui ne peuvent faire la même chose. Chez nous, on n'investit plus dans les soins de santé, on rabote et il faut six mois, un an, pour obtenir un rendez-vous chez un spécialiste, certains n'ayant aucune pudeur osant même proposer un prix doublé ou plus pour avancer le rendez-vous

Je vais m'arrêter là, ceci n'est pas une tribune mais j'ai évoqué tout cela parce que cela peut aussi expliquer la morosité ambiante et la déglingue du monde du travail montre sans contestation possible pourquoi des gens se retrouvent du jour au lendemain à la rue, sujet central du roman d'Indridason.


Reykjavik en Islande n'échappe en effet pas à la règle et même, si l'on en croit le livre et il n'y a pas de raison qu'Indridason ne nous raconte pas une réalité, est à son échelle une ville qui semble bien difficile. Je n'y suis jamais allé mais je suis persuadé que ce que nous conte l'auteur est un reflet fidèle du monde qui l'entoure.
Il faut dire qu'en plus des réalités économiques, les conditions de vie sont particulières en Islande. Si l'été, il n'y a presque pas de nuit, en hiver par contre, les heures de lumière sont restreintes. Cela ne peut quand même qu'être perturbant et moralement difficile ... J'ai connu cela au Danemark, ce noir qui tombe tôt, et ici, à Reykjavik on se trouve plus au nord encore.
Le héros du livre est Erlendur qui s'est pris d'amitié pour un clochard, Hannibal, retrouvé noyé dans une tourbière après avoir, du moins c'est ce dont le propriétaire l'accuse, mis le feu au gourbi dans lequel on le laissait dormir par soi-disant pitié. Au moment même où meurt Hannibal, un femme, Egonn, disparait. Son mari, un amant, sont soupçonnés mais l'enquête piétine...
Erlendur, à l'époque simple agent de proximité qui patrouille la nuit au milieu des clochards, des ivrognes, des drogués, des bagarres, des conduites en état d'ivresse ( on semble boire beaucoup là-haut ... ), des maris qui frappent leurs femmes et j'en passe ... est persuadé qu'Hannibal a été assassiné et que la disparition d'Egonn est liée à l'affaire ...
Sans en avoir la mission, il poursuit sa petite enquête, son idée, prend des risques et fait tout ce qu'il peut pour trouver la vérité, redonner une image correcte d'Hannibal parce qu'il l'a connu et parce qu'il estime le devoir à la soeur du SDF qui le pleure et qui a connu un drame terrible en sa compagnie ... Une investigation longue, difficile, délicate, dans ces milieux on n'a pas la parole facile ...
Je l'ai écrit en débutant, ce livre est un grand roman.
Les notes de couvertures sont correctes : au-delà de l'intrigue, on y trouve de la sensibilité, de la vraie compassion, de l'humanité ...
Un peu, mais avec d'autres sonorités, il y a dans ce livre, comme chez Marcharis, une habitude à prendre : la lecture des noms, des lieux et des gens. Ce n'est pas simple. Souvenez-vous du volcan Eyjafjallajökull ...
Arnaldur Indridason est ainsi devenu lui aussi un auteur que je vais lire ( une quinzaine de romans déjà ) avec attention parce qu'il a quelque chose à dire, à raconter et qu'il le fait très bien.