Le voyage à Sainte-Hélène
Jean-Paul Kauffmann
Mon édition est celle de France Loisirs sortie en 1997

Tout le monde connait Monsieur Kauffmann, grand journaliste et écrivain retenu trois ans en otage au Liban. Une épreuve particulièrement horrible et barbare. Je me souviens qu’à son retour, il avait déclaré qu’une des choses qui l’avait aidé à endurer ces tourments avait été la lecture et la relecture, toujours recommencée, de Guerre et Paix de Tolstoï…
Il évoque aussi ce grand livre dans La Chambre Noire de Longwood qui relate son voyage à Sainte-Hélène sur les lieux de l’exil de Napoléon, là où les Anglais ne donnaient plus à ce dernier le titre d’Empereur mais celui de Général Bonaparte. Là où, accompagné de ceux qui avaient bien voulu le suivre, les Anglais l’avaient déporté dans une maison des courants d’air, sans attrait, repaire de rats et autres, balayée par les vents et l’humidité, imprégnée d’une odeur de moisissure insupportable…
L’auteur a voulu comprendre ce qui avait été cet exil où Napoléon avait passé tant de journées à dicter ses mémoires à Emmanuel de Las Cases ( Mémorial de Sainte-Hélène ), au fidèle Général Bertrand ( Cahiers de Sainte-Hélène ), au Général baron Gourgaud ( Journal de Saint-Hélène ) et au Général de Montholon ( Récits de la captivité de l’Empereur à Sainte-Hélène ).
D’autres ont bien entendu également beaucoup écrit sur Sainte-Hélène, des auteurs contemporains ou non, et les ouvrages de références ne manquent pas.
Ces huit jours sur place ( le seul navire qui fait le voyage vers Sainte-Hélène depuis Cardiff y fait escale une semaine ) ont aidé l’écrivain à s’imprégner de ce qu’y fut l’existence de l’Empereur, sur ce petit bout de terre perdue, lui qui avait conquis l’Europe entière…
L’écrivain s’intéresse aussi aux habitants de Sainte-Hélène qui, à l’époque de sa visite, n’avaient que le bateau pour s’échapper, n’avaient pas la télévision, attendaient les cassettes vidéo venues d’Angleterre et espéraient la construction d’un aéroport … Des habitants pour la plupart desquels l’exil de Napoléon ne semble plus représenter grand-chose aujourd’hui que le temps a passé…
Le cheminement et les découvertes du voyageur lui permettent aussi de revenir sur les années antérieures à Waterloo ( une bataille que Bonaparte a réétudiée des quantités de fois durant son exil, ne réussissant jamais à comprendre comment il l’avait perdue… ) et notamment sur la terrible journée d’Eylau ( devenue ensuite Bagrationovsk en Lituanie, ancienne Prusse orientale, en hommage au général russe Bagration ) où pour la première fois, la grande armée a frôlé la défaite et où un innommable charnier de victimes a découlé d’un affrontement qui n’a finalement abouti qu’à un statut quo, sans vainqueur, les Russes se repliant. Avant Friedland…
Au cours de cette sinistre bataille, Napoléon fut bien près d’être pris et il n’a sans doute dû son salut qu’à la terrible charge de cavalerie de quatre-vingts escadrons menés par Murat… Un tableau de Simon Fort représente l’incroyable charge et on ne peut qu’être épouvanté en le regardant, en s’imaginant se trouver là au milieu de cette véritable géhenne…
https://commons.wikimedia.org/wiki/File ... 3%A9on.jpg Un autre tableau montrant Eylau et peint par le baron Gros ( Le Cimetière d’Eylau ) dévoile un Napoléon au visage perdu, les yeux tournés vers le ciel, tel un fantôme qui refuse de voir l’horreur innommable qui l’entoure…
https://www.histoire-image.org/fr/etudes/bataille-eylau Pour beaucoup d’observateurs, Eylau fut un tournant, une sorte de début de la fin, annonçant d’une certaine manière Waterloo…
Tout cela ( et bien d’autres choses ) est admirablement bien étudié et raconté dans ce livre passionnant et précis où j’ai découvert l'étonnant portrait qui fait l’objet de la jaquette de couverture et est une œuvre de James Sant intitulée Le début de la désincarnation… Il y a bien des polémiques quant aux portraits de Napoléon. Lesquels sont corrects ? Celui-ci en tous cas est interpellant et n’a rien à voir avec ceux qui montrent un personnage bouffi et négligé à la fin de sa vie.
Je suis un passionné d’Histoire et suis plus particulièrement intéressé par la Révolution de 1789 et le premier Empire. J’ai lu beaucoup de livres sur ces sujets. J’ai horreur des guerres et des massacres et il faut admettre que Napoléon est à l’origine de beaucoup de ces guerres mais ce sont des faits historiques, ils ont bien eu lieu et sont à l'origine de l'Europe.
Il serait juste aussi de laisser à Napoléon le fait qu’il a toujours été poussé à mener des guerres de par l’attitude de l’Angleterre dont la politique fut constamment de monter tout le monde contre les dangers de la Révolution de 1789 et ensuite de Napoléon.
En Belgique francophone, et dans ma région en particulier, Bonaparte a toujours bénéficié d’une mémoire particulière évidente, même s’il faut faire la part des choses entre le positif et le négatif.
Le code civil belge est basé sur le sien et les souvenirs dits napoléoniens ne manquent pas… A l’image de certains tronçons de la route Napoléon balisée ( qui passe à quelque mètres de chez moi ) empruntés par une partie de la grande armée pour rejoindre Waterloo ou autour de Waterloo même ( à une petite demi-heure d’ici, tout comme Fleurus, site de la dernière victoire des armées de l’Empereur ) où les souvenirs, les stèles, les monuments sont légion. La ferme du Caillou où a dormi l’Empereur avant la bataille est un musée utile à voir (... comme sans doute celui de Wellington à Waterloo-centre, un musée que je n'ai jamais visité... ).
Attention quand même, le fameux Lion de Waterloo n’est pas à la gloire de Napoléon mais fût érigé à celle de Guillaume II de Hollande à la demande de son père en 1826.
Ce qui est aussi très frappant est que les participants à toutes les processions des marches dites de Sambre-et-Meuse ( ma région ) portent des uniformes de la grande armée. L'époque concernée a donc bien laissé des traces dans l'imaginaire collectif.
Napoléon Bonaparte est un personnage historique qui a marqué les esprits de beaucoup dans ma région et en dépit de tout ce que l’on peut lui reprocher, il a marqué notre histoire à tous de manière durable. Et on en parle encore.
Il ne se passe parait-il pas une journée sans qu’un nouveau livre à lui consacré ne soit édité…