Dans la foulée du volume consacré à Edgar A. Poe, le succès rencontré par Les 25 meilleures histoires noires et fantastiques ( Géant n° 114 ), Malpertuis ( Géant n° 142 ) et les recueils suivants du génial gantois, est plus que probablement à l’origine du lancement de cette collection spécifique intitulée Fantastique qui aujourd’hui encore, charme les (re)lectures des amateurs du genre. Viendra encore la série Science Fiction qui elle aussi comblera les attentes des passionnés et ouvrira des mondes nouveaux aux curieux.
Marabout fut une aventure éditoriale extraordinaire, on ne dira jamais assez, nous devons beaucoup à ces livres attirants qui nous ont procurés tant de plaisirs de lecture, de découvertes et qui nous apportent encore, des années ( le temps passe hélas … ) plus tard beaucoup de joie. C’est faire œuvre de reconnaissance que d’en perpétuer le souvenir.
Les deux collections qui nous occupent ici, à l’instar des romans Bob Morane ou mettant en scène d'autes héros, les livres qu’elles regroupent sont porteurs de rêves, de découvertes, ils sont à peu d’exceptions près, captivants, générateurs de frissons et même parfois plus … Les évoquer est aussi une manière de remercier Henri Vernes dont les interventions déjà signalées en faveur des deux grands conteurs belges cités plus avant fut, nous nous plaisons à le répéter, le point de départ de cette belle aventure éditoriale. Saluons aussi tous les directeurs de collection qui l'ont fait vivre.
1. Autour de Howard Phillips Lovecraft …
Je m’appelle Howard Phillips Lovecraft, j’habite au 66, College Street à Providence …
Les histoires de Lovecraft me passionnent, j’y retourne souvent comme vers celles de ceux que je nommerai ses disciples, en particulier le grand Robert Bloch que nous allons évoquer ici en détails. Une littérature américaine, il est utile de le préciser, bien particulière, dense, passionnante et souvent terrifiante dont chaque relecture engendre une nouvelle découverte et une plongée dans des univers inquiétants, étouffants, impensables, effrayants … Tout cela écrit dans une langue parfaite ( et les traductions disponibles sont excellentes ), travaillée où rien n’est laissé au hasard et où, rien non plus, ne vient ralentir ni alourdir la trame des récits.
H.P. Lovecraft a initié un courant, il a influencé des écrivains aussi talentueux qu’inventifs qui suscitent de nos jours encore beaucoup d’intérêt. On ne compte plus les ré-éditions de leurs œuvres par de nombreuses maisons.. Pourtant, cet homme de grande qualité littéraire n’aura pas eu la joie de connaître le succès de son vivant. Pour subsister, il publiait, quand ils étaient acceptés, ses contes et nouvelles dans des pulps, des revues spécialisées comme les célèbres Weird Tales dont on peut voir toutes les couvertures sur internet. A noter que cette dernière publication a accueilli dans ses pages quasi tous les auteurs fantastique de la galaxie Lovecraft. Il officiait aussi en nègre, complétait, achevait, corrigeait les ouvrages proposés par des collègues, admirateurs ou amis … Si l’homme était reconnu, vénéré, considéré comme une référence par ses pairs il demeurait peu connu du grand public qui, les magazines mis à part, n’avait pas aisément accès à son ( énorme ) travail … Triste situation pour un artiste de ce niveau qui depuis quelques décennies est considéré par les amateurs tout autant que par les spécialistes, comme étant le plus grand écrivain fantastique américain du siècle dernier !
Il y a des « noms » parmi ses amis, relations, continuateurs : Robert Bloch bien-sûr, Donald Wandrei, Sprague de Camp, Frank Belknap Long, Robert E. Howard, August Derleth évidemment et combien d’autres ? Tous, à un moment ou un autre, ont exploré à leur manière les thèmes favoris du maître, n’hésitant pas à placer ce dernier dans des situations inextricables dans certains de leurs textes.
H.P. Lovecraft est né à Providence, Rhode Island, le 20 août 1890 et y est décédé le 15 mars 1937. Officiellement, il n’est l’auteur que d’un seul véritable roman et d’une soixantaine de contes et nouvelles. Mais ces chiffres ne représentent pas, loin s’en faut, la réalité de sa production et ne sont que la face cachée de l’iceberg, qui est immense. Son œuvre compte des ouvrages de poésie, de philosophie, des études de sciences diverses. Il est surtout l’auteur d’une énorme correspondance – on parle de cent mille lettres – que l’on peut considérer comme des petits romans, des nouvelles, des contes – dont certaines occupent plusieurs dizaines de pages …
Dans ses créations, il a imaginé un monde fabuleux mais effrayant, étrange, horrible parfois de dieux, de monstres, de forces issues de la nuit des temps, enfouies quelque part dans l’attente de leur grand retour sur la planète pour la dominer, l’asservir. Ces entités se manifestent parfois sous diverses formes et sont servies par des fanatiques dangereux et sanguinaires. Un univers que l’ami et héritier littéraire de l’écrivain, August Derleth baptisera par la suite Mythe de Cthulhu, royaume des Yog-Sottoth, Nyarlathotep issus de R’Lyeh ou enfuis dans d’innommables gouffres prêts à saisir l’inconscient qui s’en approche … Les histoires racontées évoquent également des livres infernaux, maudits, mystérieux, reliques de terribles connaissances ; le Necronomicon, le Liber Ivonis ou De Vermis Mysteriis …
Curieusement, Lovecraft lui-même est très absent des publications Marabout. Droits et exclusivités obligent sans doute. Malgré cela on le sent présent dans certains recueils consacrés aux créations de ses disciples. C’est un sentiment étonnant. A notre connaissance – sauf erreur ou omission – on ne trouve finalement qu’une nouvelle signée par lui, la maison de la sorcière, qui clôture ce bel ouvrage qu’est l’Amérique Fantastique, André Gérard Marabout, 1973 … Dommage.
Le fantastique comme la science-fiction sont très présents dans l’univers de Bob Morane. Henri Vernes a beaucoup d’expertise dans ces genres littéraires et il n’est dès lors pas étonnant que ce soit à lui, écouté chez Marabout, que nous devions pour notre plus grand plaisir, la (re)découverte dans les années soixante des œuvres de Jean Ray. Comme celle d’ailleurs des contes fantastiques écrits par Michel de Ghelderode ( Sortilèges, Géant n° 234 ).
Dans la foulée du volume consacré à Edgar A. Poe, le succès rencontré par Les 25 meilleures histoires noires et fantastiques ( Géant n° 114 ), Malpertuis ( Géant n° 142 ) et les recueils suivants du génial gantois, est plus que probablement à l’origine du lancement de cette collection spécifique intitulée Fantastique qui aujourd’hui encore, charme les (re)lectures des amateurs du genre. Viendra encore la série Science Fiction qui elle aussi comblera les attentes des passionnés et ouvrira des mondes nouveaux aux curieux.
Marabout fut une aventure éditoriale extraordinaire, nous devons beaucoup à ces livres attirants qui nous ont procurés tant de plaisirs de lecture, de découvertes et qui nous apportent encore, des années ( et oui, le temps passe hélas … ) plus tard beaucoup de joie. C’est faire œuvre de reconnaissance que d’en perpétuer le souvenir.
Saluons à ce sujet la présence sur le net d’un forum consacré tout entier aux publications de la maison au grand oiseau à lunettes, les années Marabout, l’ heureuse initiative d’un passionné, membre de notre club que nous saluons au passage.
Pour en revenir aux deux collections qui nous occupent ici, à l’instar des romans Bob Morane, les livres qu’elles regroupent sont porteurs de rêves, de découvertes, ils sont à peu d’exceptions près, captivants, générateurs de frissons et même parfois plus … Les évoquer est aussi une manière de remercier Henri Vernes dont les interventions déjà signalées en faveur des deux grands conteurs belges cités plus avant fut, nous nous plaisons à le répéter, le point de départ de cette belle aventure éditoriale.
1. Autour de Howard Phillips Lovecraft …
Je m’appelle Howard Phillips Lovecraft, j’habite au 66, College Street à Providence …
Les histoires de Lovecraft me passionnent, j’y retourne souvent comme vers celles de ceux que je nommerai ses disciples, en particulier le grand Robert Bloch que nous allons évoquer ici en détails. Une littérature américaine, il est utile de le préciser, bien particulière, dense, passionnante et souvent terrifiante dont chaque relecture engendre une nouvelle découverte et une plongée dans des univers inquiétants, étouffants, impensables, effrayants … Tout cela écrit dans une langue parfaite ( et les traductions disponibles sont excellentes ), travaillée où rien n’est laissé au hasard et où, rien non plus, ne vient ralentir ni alourdir la trame des récits.
H.P. Lovecraft a initié un courant, il a influencé des écrivains aussi talentueux qu’inventifs qui suscitent de nos jours encore beaucoup d’intérêt. On ne compte plus les ré-éditions de leurs œuvres par de nombreuses maisons.. Pourtant, cet homme de grande qualité littéraire n’aura pas eu la joie de connaître le succès de son vivant. Pour subsister, il publiait, quand ils étaient acceptés, ses contes et nouvelles dans des pulps, des revues spécialisées comme les célèbres Weird Tales. A noter que cette dernière publication a accueilli dans ses pages quasi tous les auteurs fantastique de la galaxie Lovecraft. Il officiait aussi en nègre, complétait, achevait, corrigeait les ouvrages proposés par des collègues, admirateurs ou amis … Si l’homme était reconnu, vénéré, considéré comme une référence par ses pairs il demeurait peu connu du grand public qui, les magazines mis à part, n’avait pas aisément accès à son ( énorme ) travail … Triste situation pour un artiste de ce niveau qui depuis quelques décennies est considéré par les amateurs tout autant que par les spécialistes, comme étant le plus grand écrivain fantastique américain du siècle dernier !
Il y a des « noms » parmi ses amis, relations, continuateurs : Robert Bloch bien-sûr, Donald Wandrei, Sprague de Camp, Frank Belknap Long, Robert E. Howard, August Derleth évidemment et combien d’autres ? Tous, à un moment ou un autre, ont exploré à leur manière les thèmes favoris du maître, n’hésitant pas à placer ce dernier dans des situations inextricables dans certains de leurs textes.
H.P. Lovecraft est né à Providence, Rhode Island, le 20 août 1890 et y est décédé le 15 mars 1937. Officiellement, il n’est l’auteur que d’un seul véritable roman et d’une soixantaine de contes et nouvelles. Mais ces chiffres ne représentent pas, loin s’en faut, la réalité de sa production et ne sont que la face cachée de l’iceberg, qui est immense. Son œuvre compte des ouvrages de poésie, de philosophie, des études de sciences diverses. Il est surtout l’auteur d’une énorme correspondance – on parle de cent mille lettres – que l’on peut considérer comme des petits romans, des nouvelles, des contes – dont certaines occupent plusieurs dizaines de pages …
Dans ses créations, il a imaginé un monde fabuleux mais effrayant, étrange, horrible parfois de dieux, de monstres, de forces issues de la nuit des temps, enfouies quelque part dans l’attente de leur grand retour sur la planète pour la dominer, l’asservir. Ces entités se manifestent parfois sous diverses formes et sont servies par des fanatiques dangereux et sanguinaires. Un univers que l’ami et héritier littéraire de l’écrivain, August Derleth baptisera par la suite Mythe de Cthulhu, royaume des Yog-Sottoth, Nyarlathotep issus de R’Lyeh ou enfuis dans d’innommables gouffres prêts à saisir l’inconscient qui s’en approche … Les histoires racontées évoquent également des livres infernaux, maudits, mystérieux, reliques de terribles connaissances ; le Necronomicon, le Liber Ivonis ou De Vermis Mysteriis …
Curieusement, Lovecraft lui-même est très absent des publications Marabout. Droits et exclusivités obligent sans doute. Malgré cela on le sent présent dans certains recueils consacrés aux créations de ses disciples. C’est un sentiment étonnant. A notre connaissance – sauf erreur ou omission – on ne trouve finalement qu’une nouvelle signée par lui, la maison de la sorcière, qui clôture ce bel ouvrage qu’est l’Amérique Fantastique, André Gérard Marabout, 1973 … Dommage.

Mais l’ensemble de l’œuvre est régulièrement ré-éditée chez d’autres et il n’est pas trop malaisé de la rassembler. Quelques suggestions :
Dagon et autres nouvelles de terreur, Belfond, propose une trentaine de nouvelles parmi lesquelles Prisonnier des Pharaons, la bête de la caverne, la tombe, la chose dans la clarté lunaire …
Le mythe de Cthulhu ( un titre utilisé après la disparition de Lovecraft, créé par Derleth ), J’ai Lu Fantastique n° 4176 : l’appel de Cthuhlu, la tourbière hantée, la peur qui rôde …
L’appel de Cthulhu, Pocket n° 5347 : recueil intéressant de textes de Lovecraft, Derleth, C.A. Smith, R.E. Howard, Frank B. Long et Robert Bloch.
L’affaire Charles Dexter Ward, J’ai lu n° 410
La quête onirique de Kadath l’inconnue, J’ai lu n° 4256
Dans l’abîme du temps, Folio SF n° 37
Le rôdeur devant le seuil et l’ombre venue de l’espace ( tous deux avec A. Derleth ), Christian Bourgois Editeur
Citons aussi les papiers du Lovecraft Club, dirigé par Derleth encore, l’horreur dans le musée, une série de nouvelles d’auteurs divers, corrigées, complétées par Lovecraft.
« Toutes mes histoires (…) même si elles n’ont aucun rapport entre elles, se rattachent à une tradition, une légende fondamentale selon laquelle ce monde a été peuplé autrefois par les êtres d’une autre race ; adeptes de la magie noire, ils ont perdu leur empire sur cet univers et ont été bannis mais ils continuent à vivre au-dehors et sont toujours prêts à reprendre possession de la terre. » .
August Derleth
Après le décès de Lovecraft, Derleth n’épargne pas ses efforts pour diffuser l’œuvre de l’ ami disparu. Il récupère un nombre incalculable de manuscrits, souvent inachevés, et fonde en 1939 avec Donald Wandrei la maison d’édition Arkham House, entièrement dédiée aux écrits du grand homme de Providence. Derleth complète les textes inachevés et publie des dizaines d’anthologies, de recueils, … Un trésor inestimable.
Cet homme, ami fidèle, était né à Sauk City, Wisconsin, le 24 février 1909. Il décèdera en 1971. Très prolifique lui aussi, il écrit seul ou en collaboration, de très nombreux romans et nouvelles, de la poésie, des articles, des essais … Toute sa production est listée sur divers sites internet très complets. Beaucoup de ses écrits sont disponibles chez nombre d’éditeurs comme Laffont, France Loisirs, Christian Bourgois, J’ai lu, Pocket ou NeO par exemple.
En ce qui concerne Marabout, on peut lire Ils ressusciteront – en collaboration avec Mark Shorer – dans le volume Quatre histoires de Zombi, Fantastique n° 543.

Robert Bloch
Sans contestation possible, le membre des milieux lovecraftiens avec lequel j’ai le plus d’affinités. Très ( c’est peu dire ) prolifique lui aussi, il a excellé dans tous les genres : fantastique, science-fiction, suspense, … Et parmi tous ces auteurs du Lovecraft Club, il est celui qui fut le plus publié par Marabout, ce qui est heureux.
Né le 5 avril 1917 à Chicago ( une ville qu’il évoquera souvent dans ses livres ), il est décédé à Los Angeles le 23 septembre 1994 après une fabuleuse carrière d’écrivain, de scénariste de cinéma et de télévision. La passion du fantastique et du mystère lui viendra dès l’âge de huit ans, en visionnant le fantôme de l’opéra interprété en 1925 par Lon Chaney. Il n’en compte que quinze quand il gagne l’amitié de Lovecraft avec lequel il échangera une correspondance importante. Il adhérera lui aussi au mythe de Cthulhu dans certaines de ses œuvres où il fera souvent allusion à ces fameux livres maudits, Necronomicon et autres. Il ne se privera pas non plus de mettre son mentor en scène comme dans l’excellent ( et terrible ) roman Retour à Arkham, NeO n° 22. Il publiera lui aussi dans Weird Tales, tout en faisant les beaux jours de nombre d’éditeurs.
Robert Bloch met directement son lecteur en situation, sans fioritures pour l’emmener au fil des pages dans des mondes épouvantables en le confrontant à des situations impensables, face à des personnages étonnants, attachants, révoltants, dangereux, avides de sang parfois, à l’esprit tordu, sans scrupules ou à la solde d’entités démoniaques. Son écriture est directe, alerte, sans détours ni mots inutiles susceptibles de freiner ou alourdir l’action. On abandonne très difficilement un livre, une histoire racontée par Bloch tant cet homme a le talent, le savoir-faire pour nous mettre en condition, nous retenir. Il fait ce qu’il faut pour induire l’envie irrésistible d’accéder au dénouement. Ses textes sont à ce point riches et variés qu’on y retourne facilement pour des relectures à chaque fois passionnantes. Il n’y a pratiquement pas de déchet chez lui. On ne s’ennuie jamais.
Aux portes de l’épouvante
Fantastique n° 354, comprend six contes de Bloch ( et quatre de Ray Bradbury ) :

L’ombre du clocher :
« William Hurley, né Irlandais, était devenu chauffeur de taxi – si bien qu’il serait superflu à la hauteur de ces deux faits, d’ajouter qu’il était bavard. » p. 5
Tout de suite, d’entrée, le lecteur est mis en situation, sans fioriture. C’est une caractéristique de beaucoup d’écrivains américains qui débutent leur narration dans l’action, sans autre forme d’introduction. Dashiell Hammett pour ne citer que lui était très fort dans ce domaine. Bloch nous parle d’un personnage, Hurley, qui, à contrario de ce qu’il nous laisse imaginer au départ ne jouera aucun rôle par la suite. L’écrivain désoriente ainsi dès le départ ceux qui le liront. L’ombre du clocher est particulier car lié à un récit écrit par Lovecraft en 1935 celui qui habitait les ténèbres qui évoque les mêmes personnages principaux et le mystère avec lequel ils sont confrontés. La lecture de ce qu’écrit le maître de Providence est donc indispensable pour comprendre ce que nous raconte Bloch. Géniale cette idée de développer une enquête commune, par des récits complémentaires. Elle donne le sentiment que le Lovecraft Club est un groupe, une organisation qui étudie des dossiers bien réels et inquiétants. Elle démontre aussi le degré élevé de la complicité qui unissait les deux hommes.
Dans son texte, Lovecraft nous dit l’histoire dramatique et mystérieuse de Robert Harrison Blake, peintre et écrivain fantastique venu à Providence pour confondre une secte satanique opérant dans une vieille église sinistre et abandonnée sur Federal Hill, un bâtiment où était mort en 1893, un autre chercheur, le journaliste Edwin M. Lillibridge. Une explication rationnelle de cette disparition n’a jamais été fournie. Blake quant à lui a mis la main sur le journal intime du reporter disparu qui y raconte que toute l’affaire tourne autour de la présence d’un être de cauchemar, caché au fond d’une boite, se présentant sous la forme d’un polyèdre de cristal rouge noir, une créature qui craint par dessus tout la pleine lumière. Les deux chercheurs assimilent cet être au spectre des ténèbres, Nyarlathotep. Blake, curieux et actif, a en fin de compte découvert énormément de choses lorsqu’à son tour il disparait, officiellement victime d’un choc électrique provoqué par un orage … alors que la fenêtre devant laquelle il devait s’être trouvé au moment du trépas – pour épier sans doute la vieille église – est demeurée intacte. Un médecin vaguement connu de Lovecraft et contacté par lui conteste ce diagnostic. Il prend la décision de pénétrer illégalement à son tour dans l’église suspecte où il recueille l’énigmatique boite contenant le polyèdre pour la jeter au fond de la baie de Narragansett. Quant aux récits de Blake, ils donnent à croire à la société bien pensante que le pauvre garçon était fou.
Une accusation que n’accepte pas son ami, Edmund Fiske – et c’est là que commence la partie racontée par Bloch – passager du taxi de William Hurley, l’Irlandais bavard. Débute alors une sombre et terrifiante histoire de destruction programmée de l’humain par l’incarnation de Nyarlathotep tout droit évadé de sa boite métallique pour prendre possession du corps du docteur Dexter, celui-là même qui a jeté l’objet au fond de la baie … et a soigneusement évité d’avouer qu’il a aussi découvert dans l’église infernale, des exemplaires de ces infâmes ouvrages que sont les Necronomicon, De Vermis Mysteriis, … Le récit de Bloch s’attache aux conséquences des quinze années d’enquêtes menées par Edmund Fiske, depuis Chicago, dans le but de réhabiliter la mémoire de son ami Blake et de faire la lumière sur les agissements de ce décidément bien étrange docteur Dexter… Quand Fiske arrive à Providence, il sait et il est bien décidé à en découdre avec le sinistre praticien … Brrr …
La grimace de la goule :
« La destinée joue parfois des tours étranges, n’est-il pas vrai ? Il y a six mois, j’étais un psychiatre bien connu, qui pratiquait modérément mais avec succès. Aujourd’hui je suis fonctionnaire d’un sanatorium pour cas mentaux. En ma qualité de médecin aliéniste, j’ai souvent confié des malades à l’institution où je suis moi-même enfermé, et aujourd’hui – comble d’ironie- je me trouve être leur frère d’infortune. » p. 55
L’arroseur arrosé en quelque sorte et une plongée hallucinante dans un monde souterrain où sévissent des monstruosités assoiffées de sang que le narrateur découvre sous la conduite d’un rabatteur, faux professeur de son état … Ou l’art de faire monter l’adrénaline chez le lecteur. Avec en prime une finesse d’écriture mise au service d’une imagination débordante. Même constat pour Petites créatures de l’horreur et l’aventure étonnante de Colin, génie créateur de personnages d’argile … mais sont-ils pour autant sans vie ? … La sentence druidique démontre aux sceptiques combien il est dangereux et inconscient de mettre en doute certaines croyances ancestrales tout comme de détruire des monuments anciens qui cachent parfois des gouffres inconnus, repaires de créatures d’épouvante. Une référence à Cthulhu. La nouvelle suivante, une question de cérémonial fait frémir un peu plus encore même si les premières lignes prêtent à sourire quand le conteur, recenseur payé 10 cents l’exemplaire, fait son entrée chez une dame qui lui déclare tout de go, sans sourire, qu’elle est célibataire, âgée de quatre cent sept ans, sorcière de son état et qu’elle travaille pour le compte d’un certain Satan Merkatrig … Robert Bloch termine son festival par une terrible et pourtant émouvante histoire de lycanthropie qui met aux prises l’éternel trio amoureux, ici Lisa, Violet et Charles, l’homme qui criait au loup.
Quand on referme ce livre, on se dit qu’il doit être difficile pour un écrivain de faire mieux dans le genre. Et pourtant, on n’a encore rien vu …
Parlez-moi d’horreur, ne dites pas des choses tendres
Fantastique n° 425, adaptation française pour une partie de The Living Demons, Sphere Books, London, 1970 et pour une autre part, de nouvelles extraites du magazine américain BP Singer Features édité à Anaheim, Californie ( la coïncidence ne manque pas de faire sourire : c’est dans ce faubourg de L.A. que se trouve Disneyland … ).
Ce second volume démarre très fort avec Marché noir ou les aventures improbables d’un gérant de drugstore et d’un arriviste prêt à toutes les horreurs pour arriver à ses fins.
« Quatre heures du matin. Je coupe les néons avant d’astiquer les pompes. Pour les jus de fruits, ça va tout seul, mais le chocolat est gluant et la vapeur pleine de graisse. Je commence toujours à m’énerver au moment du nettoyage. Debout jusqu’à cinq heures toutes les nuits et tout ça pour gagner quoi ? Des varices. Des varices et un assortiment d’environ un millier de faces abruties. Et encore, les varices ne sont rien à côté de cet assortiment. C’est qu’ils sont cafardeux mes clients. Je les connais tous par cœur. Au début de la soirée, il y a les « cokes ». Je les repère à un kilomètre. Leurs gloussements de collégiennes, leurs grandes cascades de cheveux châtains qui n’ont pas vu un peigne depuis longtemps, leurs ongles difformes au vernis démodé et d’affreux boudins qui débordent de leurs bottes. Toutes des « cokes ». Pendant trois quarts d’heure, ça monopolise la salle et ça vous salope les tablettes avec des cendres de cigarettes, des bouts de chiffons poissés de rouge et des constellations d’éclaboussures. Chaque fois qu’une lycéenne se pointe, je mets automatiquement la main sur la pompe à cola. Un peu plus tard dans la soirée, j’ai les « filez m’en deux pacsons ». Chemisiers sport avachis sur bras poilus, ce sont des filtres. Bleus de travail roulés sur bras tatoués, ce sont des « sans filtres ». (…) C’est plutôt monotone. Les « résolus » qui partent immanquablement avec de l’aspirine, du bicarbonate, des sucres d’orge et de la crème glacée. Les « librairie générale », de grands adolescents dégingandés qui feuillettent les revues dans les rayons sans jamais rien acheter. Les « eaux minérales » aux pantalons fatigués par le divan du garni. (…) Puis vers dix heures les « parfaits à l’ananas », de grosses dames qui jouent au bingo, talonnées par les « chocolate sodas » à la sortie des cinémas. (…) Ca entre et ça sort à longueur de journée. Les pressés du « téléphone », les vieux gâteux et leurs « timbres-à-cinq-cents », les célibataires « dentifrice » et « lame-de-rasoir ». » pp. 7-8
Amusant et finement observé. L’ennui intégral … jusqu’à ce qu’un certain Fritz Gulther porteur d’un bouquin pour le moins bizarre, déboule à la recherche d’aconit, de belladone, de phosphore et d’autres produits particuliers, rompant ainsi le train-train du préposé amer, résigné et philosophe dont le destin va basculer … Dans Les créatures de Barsac, le ton est donné, le décor planté dès la première phrase :
« C’est entre chien et loup que le docteur Jérôme arriva au château de l’ogre … » p. 36
Suit la fille de Mars qui débarque affamée sans crier gare dans une baraque foraine minable, dirigée par un personnage louche et lubrique qui exhibe une foule de faux monstres destinés à vider les poches des naïfs et des go-gos. L’intrigue il n’y a que ça permet à l’auteur de faire défiler le fantôme de l’opéra, Dracula, Frankenstein, la momie et d’évoquer le faciès inquiétant de feu le grand acteur Peter Lorre ( souvenons-nous de lui dans le faucon maltais .. ). La belle ou la bête, l’histoire d’un sorcier hindou bien étrange et de sa ménagerie infernale nous amène à Machin, Machine, Malchance et l’infernale balance des établissements Acme Coin Machine Distributers trafiquée par un génie de la mécanique qui, pour le bon motif, a vendu son âme au diable. Les esprits inventifs : un petit chef d’œuvre de scénario tordu à souhait, hitchcockien en diable et dans lequel l’imagination infernale d’un mari trompé imagine une fin horrible pour l’épouse infidèle, fait exécuter le crime sans qu’il le sache par l’amant naïf qui sombre ensuite dans la folie… Dans les fiançailles de l’innommable la pauvre Avis Long est conquise par ch’yar ul’nyar shaggonyth ( revoilà Lovecraft ) :
« … et si les rêves étaient en fait produits par des impulsions électroniques ou des radiations planétaires émises sur la même longueur d’onde que l’esprit du dormeur … » p. 202
Bienvenu l’ami ! ne manque pas d’humour mais aussi de matières à réflexion :
« (…) il y a somme toute beaucoup de similitude entre nous et les habitants de cette planète… tout comme la planète elle-même ressemble beaucoup à la nôtre. Du point de vue atmosphérique et organique, l’analogie est remarquable. La pesanteur est pratiquement identique. C’est évidemment pour ces raisons-là que nous nous y sommes intéressés. La planète est pauvre et sans grand intérêt mais nous pourrions éventuellement y établir une colonie. » p. 219, explique le Krala à Ral en observant la terre depuis leur vaisseau spatial. Et :
« (…) nous avons toujours observé les planètes en examinant les possibilités d’infiltration. Si nous avons constaté que le mode de vie nous convient, nous y envoyons progressivement nos gens. Ils se mêlent insensiblement à la population existante et dans l’espace d’une génération, notre domination numérique est complète. Ce n’est qu’à ce moment-là que nous nous manifestons. Nos gens sont habituellement aux postes clés, si bien qu’il est possible d’effectuer la conquête de l’intérieur. » p. 220
… réflexion faite, c’est vrai que j’ai toujours l’impression d’être entourés par des gens bizarres …Heureusement, le voyage d’exploration de Ral n’ira pas tout seul …L’esprit indien : spiritisme de pacotille ou séance réelle, charlatans et esprit scalpeur … Pauvre Orlando Crown, tant habité de ses certitudes …La vengeance de Tchen Lam :
« Les Tchen Lam sont les gardiens du Lotus. Ce sont les mains les plus inexorables de la terre. Ce sont les bourreaux, et à l’heure crépusculaire du châtiment, ils se mettent en route pour leur mission vengeresse. Tout le Tibet craint les Tchen Lam. » p. 266 … sans doute l’une des histoires les plus fortes du bouquin qui prend fin avec Question de principe en nous conseillant de ne pas apprendre aux Yorls à jouer au football, ils se paieraient notre tête …
Marabout sortira aussi Huit histoires de Cthulhu, Fantastique n° 548, qui ne propose aucune nouvelle de Lovecraft mais bien des récits de quelques uns de ses adeptes. Dans celui de Bloch, l’auteur fait mourir son ami de Providence, enlevé par une créature épouvantable venue de l’espace, appelée par la lecture faite à voix haute par sa victime du livre interdit De Vermiis Mysteriis, l’ouvrage maudit écrit en latin à l’époque de l’inquisition par un certain Ludwig Prinz mort sur le bûcher à Bruxelles …Cela donne Le visiteur venu de l’espace . Un bien terrible clin d’œil que cette idée de voir Lovecraft pris à ses propres phantasmes.

Le livre propose encore l’ombre du clocher déjà évoqué et surtout ce Manuscrit trouvé dans une maison abandonnée, compte-rendu hallucinant et interrompu par la mort d’un jeune garçon qui a tout découvert sur les êtres qui rôdent et préparent le grand sacrifice … Avec au fil des pages des références à Salem, Arkham et Innsmouth …
Le beau livre l’Amérique fantastique reprend un texte d’Edgar Allen Poe, complété et travaillé par Bloch intitulé le phare que j’avoue apprécier moins que les autres publications de l’ami Robert.
Le temps sauvage, Science Fiction n° 377, offre un florilège d’œuvres de maîtres du genre avec pour ce qui concerne Bloch, l’œil affamé dans lequel il est question, rien moins, de météorite, de soif de pouvoir, de Grigori Iefimovitch alias le staret Raspoutine, de Kâli, de Tartares, de Mongols, de Seldjoukides, du pillage d’Aboukir par les armées napoléoniennes, de Jack l’éventreur …

La même collection a publié un livre remarquable. Peut-être le meilleur de Robert Bloch. Un volume ( n° 566 ) qui rassemble deux courts romans, visionnaires et terriblement attachants. Matriarchie est une petite merveille qui s’étend sur une centaine de pages. Depuis la nuit des temps, l’homme, le mâle, domine le monde et ses structures et si ce monde a progressé, son évolution a aussi engendré des souffrances, des injustices, des inégalités, des folies, des guerres aussi sanguinaires qu’inutiles. Au crépuscule des années septante, un conflit nucléaire total a inversé le cours des choses pour les survivants. Ce sont les femmes qui ont pris le pouvoir. Elles ont changé la vie : plus de guerre, plus de conflit, même si demeurent quelques inévitables points noirs et la menace de renégats, nul n’étant parfait.
Dale Barton, congelé au moment du cataclysme des seventies, est réveillé en 2121 pour découvrir cette société nouvelle. Si les femmes dominent, occupent les postes stratégiques, veillent à tout, les mâles, tout au moins ceux qui acceptent le deal, vivent sans soucis, et en fin de compte, tirent encore les ficelles en coulisses tout comme leurs partenaires féminines le faisaient à l’époque de leur leadership en les manipulant, ben tiens, adroitement. Mais le danger menace. Dale va t-il céder à l’appel des renégats qui veulent rétablir l’ancien monde et ses tares ou va t-il donner une chance à cette espérance nouvelle, si prometteuse ? Une belle histoire à lire et à méditer.
Le second roman, la fourmilière, est tout aussi intéressant. Peut-être la meilleure histoire écrite par Robert Bloch. Courte elle aussi, cent cinquante pages denses, passionnantes dont on peut difficilement – mais c’est une constante chez cet écrivain – interrompre la lecture. L’intrigue commence en 1997 ( le livre date de 1958 ) par un gimmick radio débile :
« - Bonjour … une belle journée à Chicagee ! »
Tu parles ! Un monde devenu trop petit, exigu, étouffant, effrayant en raison de l’explosion démographique qui concentre des dizaines de millions d’individus dans des mégalopoles invivables, hyper polluées où tout le monde étouffe à petit feu sans jamais voir le bleu du ciel sauf en grimpant au sommet d’immeubles gigantesques, ruches angoissantes qui n’arrêtent jamais de bourdonner, un univers dans lequel un célibataire n’a droit qu’à un tout petit espace d’une pièce sans fenêtre ( une baie qui n’apporterait pas grand chose comme on peut le constater chez les couples qui en bénéficient : elle n’ouvre que sur d’autres fenêtres, à portée de main, derrière lesquelles d’autres couples tentent de survivre tant bien que mal… Un enfer d’où Harry Collins va s’échapper pour vivre une aventure unique et déterminante face aux élucubrations de savants et politiciens qui ne voient pour toute solution à l’état de ce monde condamné à disparaître étouffé que la création d’êtres plus petits, mesurant moins d’un mètre, qui bâtiront à leur échelle et remplaceront l’homme normal, en l’espace de quelques générations. Un monde de Minus. En attendant, ces minus doivent co-habiter avec les derniers normaux … La confrontation est inévitable. Collins va devenir l’acteur phare de cette quête pour la survie, jusqu’en 2065 quand l’histoire se termine sur :
« - Bonjour, une belle journée à New Chicago ! ».
Nous sommes en 2010 et cette vision apocalyptique ne s’est pas réalisée. Tout comme ne s’est pas avérée celle d’Edmund Cooper dans le jour des fous … Quoique, dans certaines de nos grandes villes – j’habite pas loin d’une de ces villes qui dégénère – des zones de non-droit font penser aux acteurs et à certains lieux mis en scène par Cooper… Quant à la fourmilière de Bloch, que penser de cette réflexion pertinente du philosophe Luc Ferry qui déclarait au journal belge Le Soir, le 15 janvier 2010 :
« … au niveau mondial, la croissance n’est pas tenable : quand les Chinois et les Indiens auront notre niveau de vie, c’est à dire dans quatre décennies au plus tard, il faudra plusieurs planètes pour fournir les matières premières. » …
A méditer.
Dans un tout autre genre, Marabout a encore publié ( last but – obviously – not least ) un autre roman qui a incontestablement assis la réputation de Robert Bloch : Psychose, Géant n° G 303.

Qui n’a pas lu – dévoré – ces pages ? Qui n’en a pas vu l’extraordinaire adaptation cinématographique réalisée par Alfred Hitchcock qui met en scène un excellent Tony Perkins dans le rôle de Norman Bates, le détraqué aux multiples personnalités ? Qui n’a pas frémi dans ce motel minable dominé par la sinistre demeure depuis laquelle sa mère, pourtant décédée des années auparavant, le surveille ? Quel bouquin ! Et quel film !
Robert Bloch et Alfred Hitchcock n’en resteront pas là au niveau de leur collaboration puisque l’écrivain fournira quelques 17 scénarii au génial metteur en scène pour sa série télévisée Alfred Hitchcock présente … Toujours pour la télévision, il signera Lock-up, Whispering Smith avec Audie Murphy ( souvenons-nous de je reviens de l’enfer dans lequel l’acteur raconte sa propre histoire durant la seconde guerre mondiale… ), quelques épisodes de Star Trek ou encore Darkroom avec le grand, dans tous les sens du terme, James Coburn. Au cinéma, on le retrouve à la machine à écrire pour le cabinet du docteur Caligari, le jardin des tortures et bien d’autres films.
Ce travailleur infatigable écrira également pour Playboy, Cavalier, Weird Tales bien entendu.
A tout cela, il faut ajouter une vingtaine de romans, des dizaines et des dizaines de contes et nouvelles, des essais, de l’édition, des adaptations en bandes dessinées …
Quand on parle de travail acharné, de persévérance, d’imagination féconde, d’invention, de plaisir de lecture, on peut avoir une pensée admirative pour ce conteur hors normes, le grand Robert Bloch.
Guy Bonnardeaux